Institut des Territoires Coopératifs

Théâtre-Forum & Compréhension humaine

Mulhouse, 13 décembre 2018. Mes amis du RNMA (Réseau National des Maisons des Associations) m’ont invité à intervenir à 16h dans une table-ronde intitulée « La co-construction en débat ». Dans ces occasions, j’aime bien arriver plus tôt : cela permet de saisir les travaux en cours et de capter des éléments qui me permettront de faire le lien entre les propos que j’ai prévu de tenir et les préoccupations concrètes des participants. Aujourd’hui, c’est d’autant plus pertinent que la séquence qui précède la table ronde est un temps de théâtre-forum, intitulé « La co-construction, c’est complexe ! » A l’InsTerCoop, nous considérons justement la coopération comme l’expression sociale de la complexité ; c’est du coup avec beaucoup de curiosité que j’y assiste.

Le principe du théâtre-forum est de mettre en jeu une problématique, de la mettre en débat, de faire réfléchir les participants qui sont invités à intervenir pour éventuellement changer le cours des choses. Augusto Boal, le créateur du théâtre-forum, pensait que le théâtre devait être un outil pour changer le monde. De fait, le théâtre forum nous permet de nous interroger, et d’exercer notre pouvoir d’agir.

Ce jour-là 3 comédiens sont sur scène. L’un d’eux incarne un élu, chargé de « coconstruire avec les acteurs locaux, dans une démarche de démocratie de proximité »… On ne comprend d’ailleurs pas très bien, ni ce qu’il veut construire, ni ses motivations, ni ce qu’il attend des acteurs locaux en question… Face à lui, deux comédiens représentent des responsables associatifs, invités (convoqués ?) pour initier cette co-construction. D’un côté, le discours est vague, les mots sont creux, les intentions jamais exprimées. De l’autre, l’attentisme est teinté de méfiance. Méfiance d’être instrumentalisé, de s’engager dans des actions non financées, d’être contraint dans une démarche… Plus les responsables associatifs font part de leur questionnement, plus l’élu cherche à convaincre, et son vocabulaire devient encore plus creux.  Plus il cherche à convaincre, plus il apparait comme suspect aux yeux de ses interlocuteurs. Bref, la saynète se termine de façon piteuse : les protagonistes se fixent un autre rendez-vous pour avancer, mais on en connait déjà l’issue.

Puis le meneur de jeu interroge le public : qu’avez-vous vu ? qu’avez-vous perçu ? qu’est ce qui cloche ? que pourrait-on changer ?… La scène a résonné pour beaucoup de participants, comme l’écho de situations bien réelles. Plusieurs propositions émergent. Le meneur de jeu invite alors un participant à remplacer l’un des comédiens pour mettre en scène sa proposition. Les comédiens adaptent leur jeu : tout change en cascade, sans pour autant donner le résultat attendu… 

Le théâtre-forum permet ainsi de réfléchir, de débattre et de tester des solutions. Il permet également de prendre conscience de trois éléments, qui par ailleurs sont indispensables à la mise en place de dispositifs de co-construction.

Voir l’implicite. Dans le théâtre-forum, tout ne passe pas le discours. Comme dans la vie d’ailleurs ! Pourtant, bien souvent on cherche à comprendre une situation en limitant notre attention à ce qui est dit, sans tenir compte de la manière dont les choses sont dites, ni de ce qui n’est pas dit par la parole, mais est dit par le corps. Le théâtre-forum rend le non-verbal et le para-verbal visible, comme l’impatience de l’élu, la suspicion des responsables associatif à son égard, ou leur refus de s’engager, même s’ils disent le contraire.

Développer la compréhension humaine. Edgar Morin, le penseur de la complexité, définit la compréhension humaine comme la connaissance de sujet à sujet. Souvent, nous mobilisons notre compréhension intellectuelle, objective : nous analysons la situation avec notre tête, mais en oubliant de comprendre ce que l’autre est en train de vivre, la manière dont il est en train de vivre. Par exemple l’impatience de l’élu face à une résistance qu’il n’attendait pas et qui l’éloigne encore plus d’une attitude de co-construction ou l’énervement des responsables associatifs face à une sollicitation qu’ils ne comprennent pas. Bien souvent d’ailleurs, les propositions que les spectateurs apportent sur le plateau ne produisent pas les effets escomptés parce qu’elles ne sont construites que sur la compréhension intellectuelle de la situation. Sans compréhension humaine, pas de coopération !

La porte du changement s’ouvre de l’intérieur. Enfin, le théâtre-forum met le spectateur au cœur du changement. Il ne s’agit pas d’écrire un autre rôle aux acteurs, il s’agit de commencer par changer soi-même sa partition, sa façon de faire et d’interagir, pour éventuellement construire avec l’autre une solution nouvelle. Par exemple, les responsables associatifs se plaignent d’être considérés comme de simples opérateurs par l’élu, mais leur attitude et leurs dires les positionnent comme tels. Que puis-je changer sur moi pour changer la perception de l’autre ?

Ces trois éléments, la nécessaire attention à ce qui n’est pas explicite, à la compréhension humaine et à notre propre rôle dans ce qui nous arrive étaient bien visibles dans la séquence de théâtre-forum. Ces trois éléments sont également les piliers de la coopération. Ils sont faciles à voir sur l’autre, une fois le rideau du théâtre tombé, que faisons-nous dans nos pratiques quotidiennes pour en prendre soin ?

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